Trois scénarios pour un numérique plus vert

Vivons-nous sans vouloir tout à fait se l’admettre une véritable marée noire numérique ? Voici trois scénarios pour un numérique plus vert.
Trois scénarios pour un numérique plus vert

Vivons-nous sans vouloir tout à fait se l’admettre une véritable marée noire numérique ? Cela ne fait désormais plus aucun doute. Mais quant à savoir qui va réussir à inverser la vapeur et imposer des modèles collectifs plus vertueux, la question reste entière. Voici trois scénarios pour un numérique plus vert.

« N’imprimez ce courriel que si nécessaire… ». Le temps où ce message accompagnait nos échanges électroniques n’est pas si loin. Mais le mythe de l’impact zéro carbone de nos contenus virtuels n’a pas fait long feu. Dès 2011, l’Ademe brisait nos petits cœurs en révélant la terrible vérité : à partir de quelques minutes de lecture, imprimer le mail en question pollue moins que de le lire au chaud dans sa boite mail. Derrière chaque navigation en ligne, nous laissons même des nuées de pollution : celle des datas centers moulinant nos données à plein régime, celle des métaux rares dans lesquels on ne finit plus de puiser, ou encore celle des flux électriques que l’on pompe sans discontinuer. Peut-on faire marche arrière sans renverser la table ? Qui des entreprises, politiques ou citoyens pourra amorcer le changement ? À quoi faut-il s’attendre si nous ne faisons rien ?

Pendant que les jeunes entrepreneurs et étudiants planchent sur de nouvelles manières d’innover au service de la planète dans le cadre du Prix Entreprendre pour demain, nous vous proposons trois scénarios alliant numérique et bien-commun.

Scénario 1 : Power to the people ?

2030 : depuis la dernière décennie, le bilan énergétique du numérique est passé de 4 % à 25 % des émissions de CO2 à l’échelle mondiale. Pour ralentir la consommation galopante de produits numériques par les usagers, un groupement d’associations et de travailleurs indépendants lance un outil de bilan énergétique et social des entreprises du numérique.

Inspiré du bilan énergétique du bâtiment, le dispositif prend la forme de vignettes de couleurs classant les sites internet, applications et services en ligne sur une échelle de A à E, A étant le plus responsable, et E le plus néfaste pour la société. Conçu pour montrer l’exemple, l’outil d’évaluation est lui-même développé pour être 100 % zéro carbone et respectueux des individus : alimenté par un panneau solaire et développé avec du code simple et sobre, le site n’héberge aucune image, ni de scroll infini, pas d’outil de tracking ni de cookies, et encore moins de notifications à gogo.

Pancarte de manifestant pour le climat / © Photo by Markus Spiske on Unsplash

Simplissime, la campagne connaît un engouement inédit. Bientôt, tous les citoyens évaluent leurs sites favoris et boycottent les réfractaires au low tech. Soutenu par le gouvernement français qui rend obligatoire la présence de l’étiquette sur l’ensemble des sites hébergés sur le territoire, le phénomène se déploie à l’échelle nationale. Au bout de quelques jours, des hackers se joignent à l’initiative, attaquant un à un les sites les plus gourmands en énergie pour les mettre hors ligne.

Semaine après semaine, alors que les critères se multiplient et la notation s’affine, les usagers modifient en profondeur leurs habitudes, entraînant les entreprises dans leur sillage. Selon la même mécanique qui avait quelques années plus tôt poussé Intermarché à retirer 900 références de ses rayons sous la pression de Yuka, les sociétés mettent leur outils et process numériques au service du bien commun. Les designers d’interfaces incitent à moins consommer, les fermes de serveurs canalisent leur déperdition d’énergie pour chauffer les villes, les professionnels du streaming investissent dans la R&D pour réduire leur impact, et les firmes collectionnant les données personnelles font un ménage de printemps dans leurs data centers. Un beau jour, les vignettes vertes ont recouvert le web : tous les sites sont enfin étiquetés A.

Scénario 2 : Une dictature pour sauver le monde ?

Au début, c’était une blague, ou du moins, ça y ressemblait. L’histoire était pourtant belle : née dans la ZAD de Notre-Dame des Landes, nourrie aux exploits des lanceurs d’alerte et élevée au rythme des mutineries dans les data centers, Agnès Ixe s’était présentée à l’élection présidentielle française. Un storytelling parfait qui avait immédiatement séduit les médias, et trouvé un écho inédit sur les réseaux sociaux, grand public comme souterrains. Son objectif : sortir de la société ultra-connectée et amorcer une décroissance musclée. Avec son slogan « Une seule campagne pour que les nôtres survivent », elle avait touché tout le monde à la fois : les vieux réacs, les jeunes idéalistes, les quadras utopistes, tous désabusés de leurs quotidiens débordants de datas et de flux d’info en continu. Quelques mois plus tard, Agnès Ixe avait remporté les élections dès le premier tour avec 75 % des voix.

« Elle s’était offert les services de hackers privés pour désactiver les serveurs domestiques des réfractaires à la déconnexion » / The Hacker, Michael Mann ©Daily Movies

Elle avait alors patiemment déroulé son programme de décroissance collective et de frugalité numérique pour tous. La première année, elle avait réorienté toutes les aides publiques à l’innovation vers les métiers dits « des besoins primaires » : agriculture, éducation et soins. La seconde, elle avait nationalisé toutes les sociétés de fournisseurs d’accès à Internet et fermé les vannes du haut-débit. La troisième, elle avait passé une taxe obligeant toutes les entreprises numériques à mettre 50 % de leurs bénéfices au pot commun, une manière d’expulser les boîtes indésirables tout en remplissant les poches de la nation. La quatrième, enfin, elle s’était offert les services de hackers privés pour désactiver les serveurs domestiques des réfractaires à la déconnexion. Pour chacune de ses réformes controversées, Agnès Ixe recourait au référendum, n’hésitant ni à manipuler les consciences par des apparitions chocs, ni à piocher dans ces nouvelles économies pour arroser ses partisans de récompenses. Sur le modèle du « mois sans tabac », elle avait lancé le « mois sans data » pour forcer les citoyens à se déconnecter, et distribuait à tour de bras des crédits pour des achats d’occasion, des téléphones low tech et des cures de data detox. Un pari risqué porté par une démarche autoritaire, et ô combien redoutable.

Au début, c’était une blague, ou du moins, ça y ressemblait.

En quelques années à peine, elle avait éliminé toute activité numérique superficielle. Les citoyens, libérés des notifications et des pièges du design de l’attention, avaient retrouvé le plaisir des choses simples, le droit de rêvasser et l’autonomie de l’esprit. Ils avaient tout pour être heureux, sauf peut-être la liberté de l’avoir choisi.

Scénario 3 : Nouvelle monnaie, nouvelle ère ?

Ça y est : après 10 ans à se battre contre le réchauffement climatique, la société a enfin repris le contrôle et réussi à modérer son impact sur l’environnement. Mais trop occupée à ce chantier, elle en a délaissé un autre, non moins essentiel : la cohésion sociale. Dix ans après le Brexit, huit après l’Itaxit et trois après le Grexit, et alors que la Commission européenne s’apprête à baisser les bras faute de capacité à fédérer, un nouvel élu prononce un discours appelant tous les pays restants à “sortir de l’Euro”. Pas de la zone Euro, mais de la monnaie Euro. « Pour en finir avec la spéculation sur la misère d’autrui, les placements à risque et les inégalités monétaires, le plus simple reste de changer de monnaie pour inventer un nouveau dénominateur commun à la communauté européenne.  ». Avec cette nouvelle monnaie, l’élu espère rétablir le lien de confiance entre l’individu et la société pour que celui-ci vive sa dépendance au collectif de manière positive.

Nouvelle monnaie, nouvelle ère ? / Jordan Rowland Unsplash

 L’Euro-coin est lancé sous forme d’une phase de test dans 3 villes : Toulouse, Milan et Barcelone. Sorte de mariage entre le revenu universel, les monnaies électroniques et des désidératas citoyens de l’ère anticapitaliste, la nouvelle monnaie redéfinit la manière de la gagner, mais aussi de la dépenser. Un quota d’euro-coins est ainsi distribué à toutes les entreprises s’engageant sur une mission et une charte sociale, lesquelles peuvent alors les redistribuer à leurs salariés. Les euros-coins reçus prennent la forme d’un crédit à dépenser exclusivement sur des sites web proposant des biens et services à forte teneur sociétale : produits faits-main, services d’associations non-lucratives, denrées locales et produites en circuit court, artisanat, dons, etc. Rapidement pris en main par les firmes qui y déploient de nouvelles offres de biens et services responsables, ce nouvel Internet devient un projet de société commun. Devant le succès de l’opération, l’Euro-coin est progressivement étendu à l’échelle de tous les pays de la zone.

 L’élu espère rétablir le lien de confiance entre l’individu et la société pour que celui-ci vive sa dépendance au collectif de manière positive.

Puisque seuls les sites agréés survivent, et que l’ancienne monnaie disparaît progressivement, les effets se font vite ressentir : la spéculation s’effondre et la surproduction s’arrête. Les entreprises deviennent un allié privilégié des citoyens, répondant à leurs besoins essentiels et leur désir d’un meilleur projet de société selon un modèle durable, humaniste et altruiste. En 10 ans, grâce à cette nouvelle monnaie et à ce nouveau web d’utilité publique, les populations de la zone Euro ont retrouvé leur goût du vivre-ensemble.

Il suffit parfois d’une initiative pour faire changer les choses. À vous d’inventer la vôtre en répondant à l’appel à projets « Le numérique responsable au service de la planète », lancé par la Fondation Sopra Steria-Institut de France dans le cadre du Prix Entreprendre pour demain, qui récompense chaque année les étudiants et les jeunes entrepreneurs qui innovent au service de problématiques sociales, sociétales et environnementales.

 

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Image à la Une : Lewis Parsons. Unsplash

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